Ce n’est qu’en 2020 que le MET Gala a officiellement adopté ce nom connu de tous. Alors que l’événement 2024 se tenait ce lundi, je vous propose une perspective historique et économique de cet événement dans ce numéro spécial de LuxPreneurship.
Pour une perspective plus créative, je vous invite à regarder le replay du tapis rouge sur le site de Vogue ou bien les arrêts sur image du styliste Matthias Debras sur Instagram (en cliquant ici), qui vous donneront un aperçu large de l’événement, avec une pincée de second degré.
A l’origine, des costumes de théâtre
À New York, deux soeurs partagent une passion réelle pour le théâtre. Elles ne se contentent pas de regarder : elles la vivent. En 1915, Irene Lewisohn et Alice Lewisohn Crowley fondent the Neighborhood Playhouse, où elles enseignent la dance et le théâtre à des jeunes jusqu’en 1927. Décennie au cours de laquelle elles commencent à constituer une collection de costumes d’époques et géographies différentes. Elles font cela de manière non organisée jusqu’en 1939. Année où elles fondent le Museum of Costume Art, sur la Fifth Avenue.
Mais il s’agit alors d’un lieu d’entreposage. Avec l’actrice Aline Bernstein, en trio, les soeurs organisent à partir de 1940 des expositions. Un lieu s’ouvrent à elles : le sous-sol du Metropolitan Museum of Art (MET).
Les prémices du Costume Institute sont en place.
De l’indépendance au MET
Irene Lewisohn décède en 1944. Sa soeur s’installe peu après à Zurich, en Suisse. Leur initiative menace de tomber aux oubliettes. Il faut trouver à la fois le relai opérationnel et de nouveaux financements.
Chance : en 1945, Dorothy Shaver est la 1ère femme à devenir présidente d’une entreprise de plusieurs millions de chiffre d’affaires aux États-Unis - elle aura même le salaire le plus élevé pour une femme du pays à cette époque : 110.000 dollars. Cette entreprise ? Le department store Lord & Taylor (ci-dessous, avant sa fermeture définitive en 2019).
Avec un intérêt business bien compris, Dorothy Shaver reprend le projet. Influente, elle négocie avec le MET la possibilité de lui transférer les collections du Museum of Costume Art des soeurs Lewisohn.
Le MET donne son accord, avec une condition : qu’elle trouve la ressource pour assurer le transfert, soit 150.000$. Avec l’aide de la publiciste Eleanor Lambert, à qui l’on attribue la parenté du MET Gala généralement, elle s’y emploie. Quelques années plus tôt, Eleanor Lambert avait lancé l’ancêtre de la Fashion Week, en réservant une semaine de présentation de collections à la seule presse, à l’hôtel Plaza (ci-dessous).
A elles deux, elles lèvent 350.000$ en convainquant les donateurs potentiels du bien fondé de la démarche : en cette fin de guerre, ne faut-il pas défendre la couture américaine et montrer le beau aux couturiers de demain pour l’inspiration ?
Avec cette 1ère “Party of the Year”, le devient le Costume Institute et intègre le Metropolitan Museum en 1948 à une condition : s’auto-financer.
Une règle qui a encore cours jusqu’à aujourd’hui et qui conditionne l’histoire mêlée du Costume Institute comme du Gala lui-même.
Une intégration totale
La 1ère exposition avait réuni la bonne société autour d’un gala et d’une exposition de plus de 5.000 pièces, sans thème précis. L’effet de surprise joua à plein. Mais l’effet volume du nombre de pièces, visant l’exhaustivité, était peu lisible. Cette exposition et les suivantes ressemblaient plus à un bric-à-brac qu’à une exposition curatée de qualité. Alors, quand James J. Rorimer prit la tête du MET (ci-dessous) en 1955, il intégra de manière pleine et entière les collections du Costume Institute au Musée. En échange, il accepta que le Gala se tienne au sein du musée, désormais.
A partir de ce moment-là naquit une question qui va et vient jusqu’à aujourd’hui : où commence le divertissement et où s’arrête l’aspect éducatif des expositions ? Alors que la Collection doit s’auto-financer, cela pose un problème inhérent entre nécessité commerciale et exigence scientifique, qui ne cessera de se poser.
Thomas Hoving, successeur de Rorimer en 1967, sera attentif à une forme d’équilibre en la matière et mit en place le cercle vertueux de développement du Costume Institute. Avec lui, la quantité de pièces présentées dans les expositions baissa drastiquement. La lumière était mise sur les exemplaires essentiels, historiques ou spectaculaires. Cette approche influa sur les achats des Collections, au même titre que la thématisation des expositions dont la 1ère de son ère, the Art of Fashion.
Avec l’aide d’Eleanor Lambert pour amplifier le message, Thomas Hoving mit en place les règles muséales qui ont cours aujourd’hui dans le monde entier, entre commerce et éducation. Les musées publics, comme les fondations, ont depuis repris ces codes qui participent allègrement du marketing des expositions et de leur succès public. Quand le Louvre s’offre à Beyoncé pour un clip, quand la Fondation Vuitton fait un concert en son sein : le Gala est l’exemple parfait de l’événementialisation de la culture pour en élever le profil médiatique. Donc l’envie de voir une exposition et la capacité à augmenter le tarif des entrées.
Événément one-shot, résonance médiatique, ressources financières.
La transformation Vreeland
Fermé pour rénovation de 1968 à 1971, Hoving remplaça E. Lambert par un éphémère curateur avant de rechercher celle qui fera des expositions un succès grandissant : Diana Vreeland. Editor-in-chief de Vogue depuis 1962, son salaire était trop élevé. C’est avec l’aide de Maria Agnelli, Jackie Kennedy, Babe Palley et Mona Bismark, qui proposèrent de payer la moitié de son salaire de 25.000$ qu’elle fut embauchée.
On pourrait argumenter aisément que Diana Vreeland a inventé le métier d’Editor-in-chief tel qu’on le connait aujourd’hui. Elle inventa également l’une des formes de l’exposition moderne.
Alors que la Duchesse de Windsor, après moults tergiversations, refusa une exposition centrée sur les habits de l’oncle d’Elizabeth II, Dian Vreeland mit sur pied une exposition Balenciaga qui fera date, renouvelant la mise en scène. Mannequins nouveaux, oeuvres d’art en regard et podiums sur-élevés : les codes avaient changé.
Le succès de cette exposition, avec 150.000 visiteurs, embarqua l’ensemble des acteurs de la mode, qui se dirent qu’ils devaient en être. Alors président du Council of Fashion Designers of America (CFDA), Oscar de la Renta décida que l’association soutiendrait le Costume Institute. Et il reprit d’ailleurs l’organisation du Gala des mains, non de Vreeland, mais des équipes du MET qui s’en chargeaient jusqu’alors.
Oscar de la Renta, dont la Maison a habillé plusieurs personnalités - dont Kris Jenner - en 2024 encore, transforma le Gala en événement où la puissance de payer son siège à table ou pour la soirée ne suffirait plus. Car c’est en 1974 que la chanteuse Cher apporta plus de glamour et de compétition au tapis rouge, avec une robe see-through qui relevait du spectacle. Plus de candidats participants que d’élus.
Spectacle que n’aimait pas quelqu’un : le successeur de Thomas Hoving en 1977, Philippe de Montebello. Critique envers l’approche de Vreeland, plus sensationnelle qu’éducative, il eut une démonstration, lors de l’exposition Yves Saint-Laurent, en 1983. Était-ce une publicité en temps réel ? Avec ces critiques et la maladie de D. Vreeland à partir de 1985, le Costume Institute perdit en puissance jusqu’en 1994.
Sans succès du gala, pas de financement.
Le glamour Wintour
C’est alors qu’Oscar de la Renta, encore lui, fut instrumental dans l’arrivée d’Anna Wintour comme organisatrice de la soirée à partir de 1995. Après un échauffement, ce n’est qu’en 1997 que son gala, le 3ème, fut un succès. Après avoir levé 2,3M$, elle se sentit pousser des ailes : en 1999, elle instaura la réservation de tables par des marques, à 275.000$ la table (plus de 500.000$ aujourd’hui).
Elle transforma ainsi en profondeur l’économie de la soirée et, donc, celle des expositions. Les marques achetaient des tables. Cétait un investissement à rentabiliser. Donc il leur fallait octroyer les places à qui pouvait donner de la visibilité. Avec ce système, la bonne société laissa définitivement la place aux stars. Seules capables d’attirer les publications.
Avec Anna Wintour, le MET Gala :
a changé de date, passant de décembre à mai - l’annulation, sur demande de Karl Lagerfeld, de la rétrospective Chanel de 2000, aboutit au décalage des expositions. Le 1er lundi de mai fut instauré en 2005 avec une … rétrospective Chanel !
Le tapis rouge spectaculaire et costumé plus qu’habillé connut deux tournants : l’un en 2004 avec une tenue thématisée d’Amber Valleta. L’autre, en 2015, avec la robe omelette de Rihanna. Le tout relayé par l’amplification sur les réseaux sociaux. Comme un retour aux sources du costume de théâtre, finalement.
Ainsi, le MET Gala n’est plus un événement social mais ultra-social. L’alignement d’intérêts entre le spectacle, la culture, le financement et la célébrité. Est-ce l’équilibre sine qua none de l’économie de la culture aujourd’hui ?
Merci de m’avoir lu jusqu’ici !
Sources : Metropolitan Museum of Art / Understich / Vogue / Anna, Amy Oddell